© Estelle Car

Au secours......
Qui va donc écrire ma biographie ?
Moi-même ! Ah, zut !
Pour moi une biographie, c’est faire « SA SOPHIE CALLE »
Allez je me lance :


Je suis née en terre d’Algérie en 1964, de parents Pieds Rouges.
(Les Pieds Rouges sont les Français qui sont arrivés en Algérie après l’indépendance, pour aider les Algériens à reconstruire leur pays après la guerre qui eut lieu de 1954 à 1962.)
Pour moi c’est central dans mon histoire de femme et d’humaine, je n’y peux rien, je serai jusqu’à ma mort : une femme du Magreb, quoique je sois née d’un père alsacien et d’une mère allemande.
J’ai grandi en Kabylie dans la montagne puis au bord de la mer. Je viens d’une cigogne de Tizi Ouzou. Je me souviens d’une enfance heureuse et joyeuse où toutes les générations se côtoyaient la journée entière. J’ai construit mon monde avec tous les sourires et les parfums de cette humanité plurielle composée d’arabes, de berbères, de kabyles, de touaregs, de juifs et de chrétiens.

Mais dès le coup d’état de Boumédiène en 1965, le FLN ne cessera de perdre son sens et son intégrité. En 1968, les pieds rouges seront obligés de prendre la nationalité Algérienne ou devront quitter le territoire. Mes parents se revendiquant « internationalistes » quittent l’Algérie en juillet 1968 avec moi sous le bras. C’est là où le rêve d’émancipation, de mes parents s’est brisé et par ricochet, c’est là où j’ai perdu mon innocence, mes rires aux éclats et le soleil dans le ciel qui me suivait partout.

Déracinée de ma terre Algérienne, à 4 ans dans un avion argenté, je traversais la mer méditerranée et j’arrivais au 9eme étages d’un immeuble HLM à Sarcelles ville nouvelle en banlieue nord parisienne, perdue entre les ascenseurs et les bidonvilles que Nougaro chante. De la fenêtre du salon, on regardait la tour Eiffel si petite qu’on pouvait la mettre dans nos mains. Quelle consolation impudique et ridicule.

De ce traumatisme, il y a eu une prise de conscience :
J’étais née deux ans après l’indépendance, période où l’Algérie était le plus beau laboratoire politique du monde. Un moment dans l’Histoire où le continent africain tout entier trouvait le sens de la révolution dans l’autogestion et aurait pu réussir à le montrer au reste du monde…
L’Algérie représentait un nouveau Cuba…

Le rêve de cette autogestion n’est jamais devenu réalité mais de témoignages en témoignages, je sais que l’utopie de cette réalité persiste et c’est là un grand espoir que je porte en moi. Je suis enfant d’apprentis révolutionnaires et fière de l’être. En ces temps d’énergies particulières, je me sens porteuse d’une révolution intérieure. Entre deux rives, je me sens un pont entre l’Algérie et la France. Un petit colibri de la mémoire collective.

Par ce site, j’ouvre une fenêtre sur mon monde professionnel, artistique et familial. Pour que chacune et chacun qui viendrait lire ces quelques lignes, puisse prolonger un voyage en découvrant différentes facettes ou expériences  qui me façonnent.

J’ai 55 ans, j’ai commencé à 18 ans à travailler comme stagiaire scripte sur les tournages pour approcher la caméra le plus près possible.
Je voulais à l’époque devenir cadreuse ou camera-woman. Mais c’était sans compter sur ma rencontre avec la salle de montage et la magie de la colure. Raconter des histoires pour apprendre, rêver et partager, j’avais trouvé mon métier…
À 20 ans, je commençais mes classes sur le tas, dans des équipes de montage traditionnel, en pellicule, comme stagiaire puis assistante durant 10 ans.

Je signe mon premier film comme chef monteuse à 30 ans, sur un long-métrage documentaire sorti en salle : « Paroles de Bibs » de Jocelyne Lemaire-Darnaud.
Un film sur les ouvriers de chez Michelin, un film sur l’amour du travail, l’inhumanité des 3/8, un film sur la classe ouvrière.

Michelin, interdira, par voie postale, à chaque famille d’ouvriers, de venir à la projection de la première du film, au cinéma d’Art et d’essais de Clermont-Ferrand.
Quand le jour "J" arrive, c’est 200 ouvriers qui viennent assister à cette projection, ils se lèvent 2 fois pour applaudir et légitimer le film. Lors de cette soirée, ils se rencontrent pour la première fois pour la plupart et ouvrent un débat passionnant qui débouchera à la naissance de leur association. Association qui sera invitée à débattre à l’université. C’est ainsi qu’une dizaine d’ouvriers iront pendant plusieurs années intervenir en fac sur l’expérience ouvrière. L’association des ouvriers fera déterrer les pneus usagés que Michelin faisait enterrer tout en faisant croire qu’il les recyclait (prouvé responsable de la pollution de la nappe phréatique autour de Clermont-Ferrand). L’association lèvera du « secret défense » la fabrication du pneu et gagnera ses procès contre Michelin.

J’ai compris grâce à ce premier long-métrage documentaire, la force et l’impact d’un film. J’ai compris qu’une œuvre d’art pouvait devenir une arme de construction massive.


Mon métier de monteuse est devenue plus qu’un métier que je pratique mais une pratique que j’aime transmettre, que j’aime partager et que j’aime accomplir sur des films qui font grandir.

Quand on est monteuse, on apprend la troisième phase d’écriture d’un film, on apprend à structurer et à transcender un récit. Au montage on écrit perpétuellement des histoires du point de vue d’un autre et un jour est venu où j’ai senti la nécessité d’écrire des histoires, de mon point de vue :

Un amoureux disparu dans « Le Penseur »…

Honorer le travail d’amis photographes dans « Chemin du Vent »…

La disparition de mes parents, déclenchement pour parler de "Ma guerre d’Algérie" dans ENGAGEMENT un projet de long-métrage de fiction...